Impensé

Évidemment, avec ces histoires de débat national et de référendum d’initiative populaire, tout un tas de groupuscules réacs essaient de remettre leurs vieilles idées sur le tapis. Exemple aujourd’hui avec le Conseil Économique, Social et Environnemental qui annonce que la proposition qui a recueilli le plus de suffrage sur sa plateforme web est l’abrogation de la loi Taubira.

C’est de bonne guerre et c’était prévisible, mais pas de quoi m’inquiéter outre mesure ; ces groupes sont très minoritaires et n’ont aucune chance de remporter un quelconque suffrage. Ceux qui m’agacent en revanche, ce sont les politiques qui ne voient pas le problème. Alexis Corbières il y a quelques jours, Chantal Jouanno aujourd’hui, assurent qu’en démocratie, il ne faut pas avoir peur du peuple, qu’aucun sujet n’est tabou et que de toute façon, on ne peut pas empêcher les citoyen d’organiser un débat sur les sujets qu’ils veulent.

C’est bien évidemment faux. Il y a des tabous.

Si des citoyens proposaient de débattre du rétablissement de l’esclavage des Noirs ou du rétablissement des lois antisémites de Vichy, nul doute que ces élus condamneraient l’idée même de tels débats. Et si des citoyens proposaient d’abroger l’IVG ou de rétablir la peine capitale, peut-être ne condamneraient-ils pas l’idée du débat en tant que tel, mais en tant que députés ou membres du gouvernement, ils préviendraient d’avance que la ligne politique sur ces sujets est immuable, quelle que serait l’issue des discussions.

Non, ce que révèlent les sorties d’Alexis Corbières et de Chantal Jouanno, c’est qu’il y a bien des tabous ; simplement, les droits des homosexuels n’en font pas partie. C’est peut-être une stratégie politique, sacrifier les minorités sexuelles pour glaner quelques voix électorales chez les réacs ; mais moi je crois que c’est pire, je crois que c’est un impensé. C’est pire parce que ça veut dire que fondamentalement, ces gens n’ont pas intégré l’idée que les droits des homosexuels étaient des droits humains. Au détour de leur réponse naïve, presque spontanée, à une question de journaliste, leur conception du mariage pour tous apparait nue et sans fard. Et elle n’est pas belle.

Pour eux, le mariage est comme le prix de l’essence : une variable d’ajustement, une question dont on peut débattre, une question sur laquelle on peut se mettre autour de la table entre personnes de bonne volonté pour trouver un arrangement qui satisfasse toutes les parties. Ce n’est pas le cas. Ni moralement, ni juridiquement. L’égalité en droit des citoyens est intangible, aussi bien pour des raisons éthiques évidentes que parce que ça figure noir sur blanc dans le bloc de constitutionnalité.

Et si l’on devait un jour régresser sur ces questions, j’en tiendrais ces élus et leurs impensés bien plus responsables que les résultats du suffrage populaire.