La bulle

Tous les matins j’ouvre Twitter et je prends connaissance des sujets sur lesquels il va falloir que je m’indigne aujourd’hui.

Un crétin anonyme a pondu un tweet raciste bouh le vilain please report as spam. Un ministre a dit une grosse connerie sur les nouvelles technologies haha c’est pas possible tous ces vieux énarques qui ne comprennent rien à internet please RT. Le patron d’une grosse entreprise de l’agro-alimentaire s’est fendu d’une déclaration homophobe dans un obscur média étranger vite vite lançons un #boycott. Un militant LGBT a dit un truc islamophobe non mais allô mot-dièse intersectionnalité des luttes quoi.

Je dois être un mauvais citoyen, parce que tout ça, au mieux je m’en tape, au pire ça me fatigue. Les tweets racistes ou homophobes me blessent (vraiment) et je n’ai pas du tout envie d’en voir passer dans ma timeline, même quand c’est pour les dénoncer. Qu’un ministre n’arrive pas à utiliser Facebook m’indiffère complètement parce qu’il se trouve que ça n’est pas la compétence que je lui demande pour faire son job. Je mange les pâtes italiennes que je veux parce qu’on ne plaisante pas avec les pâtes et celles de toutes les autres marques disponibles dans mon supermarché sont impossibles à cuire al dente. Quant à l’intersectionnalité des luttes, ouais, c’est cool, mais comme objectif à atteindre ; pas comme critère pour désigner à la vindicte twittérienne les pauvres ignorants qui n’ont conscience que de n discriminations là où d’autres, si moralement supérieurs à coup sûr (voire irréprochables), en voient n+1.

Sans oublier toutes ces indignations récurrentes retweetées à l'infini et qui me font lever les bras au ciel de désespoir, soit que je maîtrise assez le sujet pour savoir que l’indigné, lui, n’y a rien compris ; soit que je ne connais pas le sujet mais je sais tout de même qu’il est trop complexe pour être résumé à un slogan de cent quarante caractères à la rhétorique grossière, pondu par un inconnu dont personne ne sait rien ni de la légitimité, ni de l’endroit d’où il parle.

En fait, Twitter est devenu beaucoup trop sérieux. Avant, j’aimais bien y aller pour raconter des conneries avec mes potes. Surtout dans la journée, pour me changer les idées entre deux galères au boulot (mes râleries professionnelles sur Twitter sont légendaires…) ou pour m’occuper quand je m’emmerdais en réunion. Ah, le plaisir d’être de mauvaise foi en sachant que non seulement personne ne relèvera mais qu’en plus, la plupart de mes followers abonderont dans mon sens !

Maintenant, quand je parcours ma timeline, j’y trouve encore plus de sujets de m’énerver que dans la vraie vie. À quoi bon fuir les militants LMPT qui me servent de collègues si c’est pour retrouver les mêmes sur le net. À quoi bon éviter de fréquenter des gens qu’on n’aime pas si c’est pour voir passer des dizaines de retweets de gens qu’on aime encore moins. À quoi bon essayer d’oublier la médiocrité de la vie politique si c’est pour voir s’étaler à longueur de web les déclarations idiotes du ministre Machin ou du député Bidule.

Un jour, j’en aurai vraiment marre et je ferai un bon gros ménage à coup de bouton unfollow. Rien de personnel. Ca sera juste une tentative de me restaurer une petite bulle d’internet sympa avec les copines et les copains, comme c'était avant.