Choix éditoriaux

Le problème de la manif pour tous, ce n'est pas seulement 70 000 crétins dans la rue. C'est aussi la place ahurissante que les chaines d'information lui accordent, c'est aussi leurs leaders et leurs idéologues invités dans tous les magazines télés.

Liberté d'expression, répondent en chœur les journalistes interpellés sur ce sujet. Certes, mais c'est un peu court, comme réponse. Au nom de la liberté d'expression, on ne donne pas automatiquement libre antenne à n'importe quel péquin illuminé qui raconte n'importe quoi. Un choix éditorial est bien évidemment fait, tout passe par le filtre journalistique. Une manifestation réclamerait-elle l'interdiction du divorce ou de la procréation hors mariage que les chaines n'y consacreraient qu'un clin d'œil amusé dans la rubrique « insolite » en fin de journal. Au mieux, le leader d'un tel mouvement serait invité en mode « diner de cons » dans des émissions humoristiques. Mais ça ne justifierait certainement pas une après-midi entière de direct, des envoyés spéciaux sur le terrain et des spécialistes interviewés en plateau.

Inviter Zemmour, Boutin, La Rochère ou je ne sais quel évêque rétrograde partout, ce n'est pas une conséquence de la liberté d'expression, ce n'est pas un impératif qui serait lié à l'actualité ; c'est un choix éditorial parfaitement volontaire, qui traduit une certaine hiérarchisation de l'information par les rédactions, qui traduit elle-même un certain regard de la société. J'ai envie de dire : un certain regard des hétéros sur les homos. Parce que oui, magnifique allégorie de la condescendance, l'immense majorité des journalistes et des invités qui parlent mariage des homos, adoption ou PMA à la télé, ainsi que les députés qui votent sur ces questions à l'Assemblée, sont hétéros. Il circulait l'autre jour sur les réseaux sociaux une photo prise à une conférence internationale sur les droits de la femme où l'on voyait une table ronde exclusivement composée d'hommes ; et tout le monde de s'esclaffer. Eh bien nous sommes exactement dans la même situation, sauf que là, ça n'a l'air de choquer personne. C'est aussi pour ça que la visibilité homosexuelle est fondamentale. L'association des journalistes gays et lesbiens, l'injonction au coming-out des personnalités publiques, ça n'est pas du communautarisme ; ce sont des outils essentiels pour savoir d'où les gens parlent, par quel prisme ils voient le monde et donc, pour juger si leur parole est pertinente et légitime.

D'autre part, si la liberté d'expression garantit le droit de s'exprimer, elle ne garantit pas que toute parole soit intelligente, argumentée, véridique, respectueuse… Non, toutes les idées ne se valent pas. Personnellement, je ne crois pas que toute idée qui sous-entende une hiérarchisation des êtres humains ait la moindre valeur. Racisme, sexisme, homophobie ; autant de façons de dire que l'autre est inférieur ; autant d'idées qui ne méritent pas d'être exprimées sans conséquence, qui exigent d'être au minimum contredites lorsqu'elles sont exprimées.

Or elles sont légions, ces émissions où l'on invite sans les contredire des racistes pour parler de la condition des musulmans, des machos pour parler du droit des femmes, des homophobes pour parler du couple homosexuel.

Sur cela les journalistes doivent faire leur introspection, s'interroger sur leur responsabilité vis-à-vis de la société, et arrêter de brandir la liberté d'expression comme une formule magique dès qu'on critique leurs choix éditoriaux.