Humanités

Chaque fois qu'un ministre fait un pas vers la disparition du latin et du grec au collège, les réseaux sociaux bruissent d'indignation et les arguments fleurissent, visant à démontrer que l'étude des langues mortes est utile.

Je trouve ça assez triste, cet utilitarisme. Qui a dit qu'on ne devrait apprendre à l'école que des choses utiles ? Et utiles à quoi, d'abord ? À une future vie de labeur en entreprise ? Comme par exemple la généalogie des rois de France et la décomposition d'un nombre entier en facteurs premiers ? Comme si les mêmes choses étaient utiles à un conducteur de métro, un pianiste, un archéologue, un ingénieur des ponts et chaussées, une infirmière, un intégrateur de sites web, un commis de cuisine… Ça n'a pas de sens.

Je ne crois pas que l'école et le collège soient là pour former de futurs travailleurs. Il y a les filières spécialisées et les études supérieures, pour ça : lycées techniques, universités, écoles d'ingénieurs, etc. À l'école et au collège, c'est encore trop tôt. L'écrasante majorité des élèves, à cet âge, n'ont pas d'idée précise et réaliste de ce qu'ils feront plus tard, et si jamais ils en ont une, la plupart du temps, par la grâce des aléas de la vie et de l'incompétence des conseillers d'orientation, ils feront autre chose.

L'école et le collège servent certes à inculquer des bases indispensables à la survie dans nos sociétés : lire, écrire, compter. Mais c'est anecdotique. Ils servent surtout à ensemencer des graines. Une graine de littérature par-là, une graine d'histoire par-ci, une graine de mathématiques par-là, une graine de sciences de la vie par-ci… Laquelle germera dans la tête de tel ou tel élève ? Assurément pas celle qu'on n'aura pas planté.

Impossible de savoir quels métiers, quelles compétences seront demandées dans vingt ans. Plantons donc le plus de graines possible ! De plus, il est bien connu que le nombre et la diversité des sollicitations intellectuelles sont une condition essentielle du développement du cerveau de l'enfant. Des élèves prennent leur pied à lire Eschyle ou Cicéron ? Et en plus c'est bon pour le développement de leurs facultés intellectuelles ? Mais que demander de plus !

Il ne faut pas conserver le latin et le grec parce que c'est utile. Il faut les conserver pour que la palette d'activités proposée aux enfants reste la plus vaste possible, et parce qu'il y a des élèves et des profs que ça éclate. Quand on s'éclate à l'école, c'est déjà à moitié gagné. Je préfère infiniment des élèves enchantés d'aller à un cours qui ne sert à rien plutôt que des élèves allant, emplis d'hostilité et de démotivation, à un cours qui sert.