L’homophobe et l’homosexuel refoulé

Madmoizelle publie un article qui propose d’en finir avec le cliché de l’homophobie qui serait due à une homosexualité refoulée. Je ne suis pas en opposition avec tout ce qui est dit dans l’article, mais certains raccourcis me gênent.

La question centrale, bien sûr, est celle de l’origine de l’homophobie. Je suis convaincu que l’immense majorité des homophobes le sont par simple conformisme ou mimétisme social : nous vivons dans une société homophobe, ça commence dès l’école où pédé est l’insulte la plus banale et où ne pas être viril est pour un garçon la honte ultime, et il n’y a pas grand mystère à ce qu’une telle société homophobe produise des individus homophobes. Maintenant, qu’en est-il du cas particulier de ces homophobes qui se révèlent finalement homosexuels ? Il faut bien avouer que les exemples ne manquent pas. On voit régulièrement dans la presse américaine des sénateurs anti-gay se faire outer par d’anciens amants, d’après le livre-enquête Sodoma de Martel, 70% des cardinaux du Vatican sont gays et en particulier les plus bruyants sur la question LGBT, le théoricien de l’homophobie Tony Anatrella a été accusé d’attouchements par plusieurs hommes, pas plus tard qu’il y a 2 ou 3 mois, le directeur d’une grande école catholique parisienne à la politique ouvertement homophobe a dû démissionner parce qu’il aimait bien les jeunes garçons, le terroriste d’Orlando avait semble-t-il des tendances homos, plein de gourous à la tête des « stages de guérison » de l’homosexualité ont des accusations d’attouchements au cul par leurs anciens patients… Et ça ne date pas d’hier, dans un registre plus léger, l’histoire du comte Eugène le Bègue de Germiny m’amuse beaucoup.

Ce que je veux dire, c’est qu’il y a tout de même un pattern récurrent qui pourrait faire penser qu’on a là plus qu’un simple cliché éculé. Je ne dis pas que tous les homophobes sont des homosexuels refoulés, je ne dis pas non plus que l’homosexualité refoulée est une explication valable à l’homophobie, je suis juste frappé de constater que beaucoup d’homophobes virulents, revendicateurs, ceux qui en font une véritable obsession et un combat politique, finissent souvent par s’avérer gays. Ça m’interpelle et ça m’intrigue, du coup ça me chagrine qu’on m’intime de ne plus en parler.

L’article expose également qu’expliquer l’homophobie par l’homosexualité refoulée est une psychologisation, ce qui à tendance à entrainer une dépolitisation du problème. (Je suppose que par psychologisation il faut comprendre pathologisation, vu que psychologisation est assez vague : tout est psychologique, en fin de compte.) Pour moi, un tel raisonnement est vraiment un non sequitur. Entre constater qu’il y a des homos refoulés et leur diagnostiquer une pathologie mentale, il y a un pas que je n’ai vu personne franchir. Comme déjà dit, notre société est homophobe, et ça me parait au contraire être un processus de défense tout à fait naturel, et pas du tout pathologique, de vouloir se cacher (ou cacher aux autres) que l’on est ce que l’on nous a appris à détester. Quant à la dépolitisation, même dans l’hypothèse extrême (que personne ne fait je pense) où l’on considérerait que l’homosexualité refoulée était l’explication systématique à l’homophobie, ça n’empêcherait pas de voir et d’analyser que ce refoulement est entièrement dû à des questions politiques, et soluble par des mesures politiques.

Enfin, et c’est sûrement pour cela que cet article m’a touché, le hasard fait que je viens tout juste de publier un recueil de nouvelles où plusieurs personnages sont des homophobes homosexuels. Comme le dit très bien l’article, c’est quelque chose de récurrent dans la fiction et j’avais donc envie de donner mon point de vue d’auteur sur le sujet. Or donc, pourquoi ce genre de personnage est souvent central ? Mais parce que c’est hyper intrigant, pardi ! On veut savoir ce qui se passe dans la tête du type qui déteste les pédés alors que lui-même suce des bites ! Quelles sont ses motivations, est-ce qu’il fait ça consciemment ou pas, comment fait-il pour réconcilier ces deux versants de sa personnalité… Et il y a matière à exploration littéraire tant le sujet est vaste. L’un de mes personnages est homophobe par pur conformisme social et est chamboulé lorsqu’il découvre qu’il est sexuellement attiré par son voisin ; un autre est homophobe par réflexe de survie, parce qu’il vit dans un milieu où ne pas être homophobe est suspect d’homophilie, et l’homophilie est littéralement une menace de mort à court terme ; un autre est convaincu de l’immoralité de sa propre orientation sexuelle et la cache parce qu’il trouve inconvenant d’exhiber ses vices. De même qu’on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure, on ne fait pas de la bonne fiction avec des personnages sans tourments… Et pour en revenir à cette histoire de dépolitisation, je serais complètement passé à côté de mon but si on me disait que ces quelques modestes nouvelles ne sont pas politiques.

Ce qui est fascinant, c’est qu’on débat, on discute, on écrit des œuvres de fiction à n’en plus finir alors qu’au fond, j’attends toujours une définition claire de l’homosexualité…