Des abats et des vaccins

Au siècle dernier, j’ai travaillé un moment dans l’animation socio-culturelle et entre autres activités, je me suis retrouvé à animer des centres d’accueil pour adolescents, des formations BAFA, des stages pour adulte, etc. Je m’étais alors beaucoup intéressé à la pédagogie et à la dynamique des groupes et parmi les nombreux bouquins et articles que j’avais lus, une expérience m’a marqué.

En 1943, les États-Unis expédient la majeure partie de leur production de viande sur les différents fronts pour y nourrir les soldats. La viande de bonne qualité devient alors rare sur le marché intérieur et son prix explose. Craignant que de nombreux foyers américains ne puissent plus s’en offrir et que la population développe des carences alimentaires (oui, la diététique n’accordait pas beaucoup de valeur aux protéines végétales, à l’époque…), le gouvernement lance de grandes campagnes médiatiques pour inciter les ménagères à cuisiner des abats. C’est un échec. Les mères de famille refusent de servir des morceaux aussi peu nobles à leurs enfants, et puis c’est le pays le plus riche du monde ici, on ne va quand même pas s’abaisser à manger les déchets habituellement destinés aux pauvres et aux bêtes, non mais ho !

C’est là qu’entre en scène Kurt Lewin. Plutôt que des campagnes publicitaires, ce psychologue organise des groupes de paroles avec des ménagères, où des diététiciens viennent exposer l’importance de réserver la viande de bonne qualité aux soldats, où des économistes viennent exposer les facteurs économiques en jeu, où des cuisiniers viennent proposer des recettes pour accommoder les abats, etc. La discussion est libre, chacune donne son avis, pose des questions, propose des idées. Résultat : une semaine plus tard, un tiers des ménagères ayant participé à ces groupes de discussion se sont mises à servir des abats à leur famille. Encore mieux, en discutant avec leurs amies, leurs voisines, leurs relations proches, elles convainquent de nouvelles personnes n’ayant pas participé à l’expérience initiale de succomber à cette nouvelle mode patriotique de manger des abats pour soutenir l’effort de guerre. Le succès est total.

C’est que Kurt Lewin a une théorie : il est plus facile de changer les habitudes d’un groupe de personnes que les habitudes d’une seule personne. Pourquoi ? Parce que dans le second cas, il y a une relation d’autorité unidirectionnelle, ce qui ne laisse pas de place à la négociation, peut froisser les égos et suscite de la défiance ; alors que dans le premier cas, les différents membres du groupe peuvent discuter entre eux, entre personnes de même niveau « hiérarchique », évoquer leurs blocages sans crainte d’être jugés par un supérieur, se convaincre mutuellement, et au final suivre plus facilement une décision qui leur apparait comme collective et négociée plutôt qu’imposée d’en haut.

Sur cette expérience, vous trouverez plus de détails par ici. Sur la propagande mise en place par le gouvernement, et notamment comment les bouchers ont remplacé le terme peu ragoutant de organ meat par celui plus neutre de variety meat, cet article est très bien.

Mais pourquoi vous raconté-je tout ceci ? Parce qu’il me semble que la campagne de vaccination fonctionnerait beaucoup mieux si les gens aux commandes de notre beau pays troquaient leur autoritarisme contre quelques notions de psychologie sociale…