L'ombre du Z

La seule et unique raison pour laquelle il y a un candidat fasciste à l’élection présidentielle, c’est parce que les médias lui donnent la parole. C’est aussi simple que cela. (Ouais, c’est un candidat fasciste. Vérifie la définition dans un dictionnaire si t’as un doute, avant de venir me les briser.)

Alors évidemment, dire qu’on devrait censurer des gens, qui plus est un candidat à une élection nationale, ça heurte le démocrate bisounours qui sommeille en chacun des habitants du Pays des Lumières. Enfin surtout les habitants mâles qui ont un nom français, qui mangent de la charcuterie et qui aimer coucher avec des meufs, parce que les autres, ils et elles s’en prennent tellement dans la gueule à chaque discours que ça les choque pas trop, l’idée qu’on pourrait essayer de colmater le robinet à merde. Au contraire.

Le principe du fascisme, c’est de pirater le système, de retourner les outils de la démocratie contre elle-même. Et ça fonctionne. Les médias invitent les candidats d’extrême-droite à des débats, dans la plus pure tradition démocratique de liberté d’expression et d’égalité des temps de parole, afin de confronter les idées des uns et des autres, dans l’espoir que le citoyen se forge une opinion éclairée, bla bla bla. Sauf que le fascisme ne marche pas comme ça, et s’il en faut un exemple récent, Donald Trump en a été la parfaite illustration : le débat est perdu d’avance parce qu’on ne joue pas avec les mêmes règles. Ces gens ne cherchent pas la vérité, ils se foutent de la réalité et des raisonnements logiques, ils ne veulent pas avoir raison, ils veulent juste avoir le pouvoir et leur façon de l’obtenir est de noyer tout le monde sous la merde. Littéralement. Les mecs balancent tellement d’horreurs, c’est un feu nourri, une mitraille, une pluie d’obus, on n’a même pas fini de débunker une connerie qu’il y en a déjà deux, trois, cinq, dix autres qui suivent le lendemain, les prénoms français, l’endoctrinement LGBT à l’école, le roman national, les femmes voilées, la menace islamiste, le wokisme à l’université, Besançon qui ne veut pas fêter Noël, la cancel culture, on ne peut pas suivre et pendant ce temps non seulement on ne parle pas d’autre chose, mais en plus, vu la surface médiatique que ces « débats » offrent, ces idées rencontrent toujours davantage de terrains fertiles, elles essaiment et la peste se répand. Toni Morrison disait que le but du racisme, c’était de nous faire perdre notre temps. C’est exactement ça et n’importe quel militant de n’importe quelle minorité l’a expérimenté.

Oui, je parle de merde et de peste. À un moment, il faut appeler les choses par leur nom et arrêter de s’accrocher aux valeurs de tolérance et de respect, parce que les fascistes, eux, ne jouent pas sur ce terrain-là. Une militante PS (Haha, le PS… Je vais m’abstenir d’en rajouter…) tweetait l’autre jour qu’il ne fallait pas avoir peur du débat et que la parole des fascistes ne valait pas moins que la nôtre. Alors je suis désolé choupette, mais en fait, si. On n’est pas en train de parler du prix de l’essence ou de la meilleure façon de cuire la saucisse de Morteau, là. On est en train de parler de droits humains, d’éthique, de morale. On est en train de parler de politiques qui conditionnent le fait que des gens se noient ou pas dans la Manche ou la Méditerranée, par exemple. On est en train de parler de savoir si oui ou non, tous les habitants du pays, les hommes, les femmes, les gays, les lesbiennes, les trans, les citadins, les périurbains, les immigrés, les handicapés, ont les mêmes droits juridiques, par exemple. Prendre position dans ce genre de débat, ce n’est pas une question d’opinion politique, c’est une question d’être ou pas une grosse ordure. Donc non, toutes les paroles ne se valent pas. Un certain nombre de ces paroles sont même littéralement illégales, pour preuve, le candidat dont on parle a été plusieurs fois condamné par la justice. Et puis ce débat démocratique que vous chérissez tant, vous l’imaginez comment ? « Pardon monsieur le nazi, vous vous trompez, le grand remplacement n’existe pas, il n’y a que 7,5% d’étrangers en France — Ah oui, vous avez raison, au temps pour moi, je me suis trompé, du coup j’arrête immédiatement d’être raciste. » Juste LOL.

Un refrain classique chez les éditorialistes et les philosophes médiatiques (et aussi chez mon patron, qui en tant que gros PDG de droite se trouve avoir ses entrées chez un journal de droite où il publie régulièrement des chroniques de droite) consiste à dire que les antifascistes sont les nouveaux fascistes, puisqu’ils prônent la censure. Et les mecs sortent ça avec aplomb, tout contents de leur trouvaille ! C’est exactement le même problème qu’avec la militante PS dont je parlais plus haut : c’est un raisonnement purement technique sur le fonctionnement du débat public, qui fait semblant de ne pas voir la nature profondément morale de ce dont on parle. Encore une fois, il n’est pas question de censurer des recettes de saucisse de Morteau mais de limiter l’expression d’idées haineuses. Si vous ne voyez pas la différence entre un discours encourageant la violence légale, psychologique et physique envers une partie de la population, et un discours visant par tous les moyens à éviter que cette violence n’advienne, allez faire réviser votre boussole. (Et en attendant, fermez-la.)

Après l’épisode Trump, de grandes plateformes internet ont pris le parti de censurer les contenus d’extrême-droite. C’est assez critiquable parce que cela se fait à la discrétion d’entreprises privées, sur des critères opaques et fluctuants, sans passer par un juge, mais ça fonctionne. (Voir ceci et ceci, par exemple.) Il faut ajouter que bannir l’extrême-droite d’une plateforme telle que YouTube, c’est aussi réduire ses revenus financiers, et donc ses moyens d’action. On attend donc la même lucidité de la part des grands médias traditionnels. Et autant je peux comprendre que certains groupes privés, détenus par des grandes fortunes qui ont tout intérêt aux régimes autoritaires, favorisent les discours fascistes (lire à ce sujet L’ordre du jour d’Éric Vuillard), autant la complaisance de France Inter ou de France Info est impardonnable.