Le lobby LGBT a encore bien travaillé samedi soir ! Et ça n’a pas été facile, croyez-moi. D’habitude, le lobby se contente de faire nommer des homos à des postes de pouvoir. De la rigolade. Un peu d’entrisme dans les bons cercles et hop, on n’en parle plus. Cette fois-ci, il a quand même fallu persuader plusieurs dizaines de millions d’inconnus répartis dans trente-sept pays différents de tous voter pour Conchita !
Des mois qu’on est sur le coup, nous, les militants du lobby LGBT. Des mois qu’on se laisse pousser les cheveux et la barbe pour imprégner les esprits, qu’on s’entraîne à mettre de l’eye-liner sans déborder, qu’on fait du porte-à-porte pour convaincre, qu’on séduit, qu’on enrôle, qu’on suce des bites. Il a même fallu déployer des mesures coercitives sans précédent à l’encontre des récalcitrants : stages obligatoires de décoration intérieure, courses d’obstacles en platform shoes, tortures raffinées à base d’écoute intensive de la discographie de George Michael, séances d’hypnoses à la boule à facette…
Le plus épuisant, évidemment, c’était samedi soir. Si vous traîniez dans les rues à l’heure fatidique, vous avez sûrement croisé l’un ou l’autre d’entre nous, courant d’une maison à l’autre, le stéthoscope autour du cou pour écouter aux portes et vérifier qu’aucun dissident ne regardait autre chose que l’Eurovision, le scanner GSM à la main pour vérifier qu'aucun rebelle n’envoyait de SMS de vote pour la moustache des Twin Twin… Nous avons d’ailleurs partiellement échoué là-dessus, la France a fini par récolter deux points – France, two points. Personne n’est infaillible, que voulez-vous. Nous sommes partout, nos moyens sont gigantesques, mais pas illimités.
Franchement, la dictature LGBT, c’est du boulot. Après ces mois de lobbying, je suis é-pui-sé. Mais quelle satisfaction de voir se réaliser l’une après l’autre chaque étape de notre agenda secret pour la destruction des valeurs occidentales millénaires et la domination de l'univers par les invertis !
Tous ces geeks devenus milliardaires après avoir lancé une application rigolote, ça fait rêver ! Le monde regorge de start-up fondées par des gens plus ou moins illuminés qui s’imaginent pouvoir renouveler le miracle de Snapchat, Facebook ou Twitter. Et pour réaliser leurs projets, ces gens cherchent des développeurs. Alors ils me contactent.
Telle cette entreprise qui propose un nouveau concept de navigateur web. Lorsqu’en entretien d’embauche j’ai émis des réserves sur l’intérêt et l’avenir du produit, étant donnés, primo, la concurrence bien installée et secundo, le peu de valeur ajoutée de leur concept, on m’a pris de haut, on m’a ri au nez, on m’a assuré que ma vision était celle d’un technicien et que je ne savais pas me mettre à la place du marketing. En attendant, plusieurs années plus tard, je surveille encore régulièrement leur site web et devinez quoi ? Du blabla et de grandes déclarations, plein ; mais de navigateur révolutionnaire, toujours point.
Ou encore cette entreprise qui assure avoir inventé un format d’image permettant d’obtenir des taux de compression incroyables, de l’ordre de plusieurs dizaines fois supérieurs au JPEG mais sans perte de qualité, rendez-vous compte du potentiel ! À mes questions théoriques sur le principe de la chose, on m’a opposé brevet et secret industriel. À ma demande de démonstration, on m’a répondu que le système n’était pas encore tout à fait prêt. À ma remarque qu’étant donné l’état de l’art en matière de compression, je ne croyais pas qu’une telle percée puisse venir d’autre part que du milieu universitaire, on m’a baratiné avec le mythe du geek génie solitaire. En attendant, plusieurs années plus tard, je surveille encore régulièrement leur site web et devinez quoi ? Du blabla et de grandes déclarations, plein ; mais de compresseur d’image révolutionnaire, toujours point.
Ou enfin l’entreprise où je travaille actuellement et qui propose un service certes novateur et intéressant, mais qui commet la double erreur d’un management ultra-autoritaire combiné à une ignorance totale du mode de fonctionnement d’une équipe de développeurs. Quatre-vingt dix pour cent des employés restent moins d’un an et partent en claquant la porte, ulcérés par l’inefficacité des méthodes de travail, les ordres contradictoires, l’absence de visibilité. Dans plusieurs années, je surveillerai leur site web et devinez quoi ? Je parie que j’y trouverai plein de blabla et de grandes déclarations ; mais d’application terminée, point.
Passe d’armes entre journaux de gauche à l’occasion de l’élection de Steeve Briois. D’un côté Libé qui publie un article assez insipide sur la question des homosexuels au FN, de l’autre les Inrocks qui hurlent à l’outing du maire, ce qui est inepte parce que l’outing en question date en réalité de plusieurs mois auparavant et qu’il a déjà fait l’objet de poursuites et d’un jugement, en défaveur de l’outé d’ailleurs.
Là-dessus intervient un troisième journaliste qui s’étonne que l’orientation sexuelle d’un maire soit une question politique et trouve archaïque qu’on juge l’action d’une personnalité à l’aune de son homosexualité, surtout quand on se prétend progressiste et qu’on écrit dans des journaux de gauche tels que Libé et les Inrocks. Ainsi, argumente-t-il en substance, la vie privée des hommes politiques ne regarde qu’eux et ne devrait avoir aucune importance.
Tout ceci appelle plusieurs remarques.
D’abord, sur le côté privé de l’homosexualité. Personne n’aurait l’idée de prétendre que l’orientation hétérosexuelle relève de la vie privée. L’hétéro-pride, c’est tous les jours : couples qui se tiennent par la main dans la rue ou qui se roulent des pelles sur les quais de gare, collègues qui mettent des photos de leur conjoint-e sur leur bureau ou qui racontent force anecdotes sur leur vie de couple, mariages de personnalités en première page des journaux people… Certaines orientations sexuelles seraient donc publiques et d’autres non ? Allons donc. Sauf à ne respecter aucune des conventions sociales communes et à sombrer dans la dissimulation paranoïaque, la personne avec laquelle vous vivez est visible ; son sexe aussi ; donc votre orientation sexuelle est publique. Quelle qu’elle soit. Point. Si vous n’êtes pas d’accord avec ça, retournez dans votre petit placard et ne venez pas nous casser les burnes pendant que nous travaillons à votre acceptation.
Ensuite, sur l’intérêt de la connaissance de l’homosexualité des hommes politiques. Il y a une différence fondamentale entre Bertrand Delanoë et Steeve Briois que ce journaliste fait semblant d’ignorer : le premier n’appartient pas à une formation politique qui développe une rhétorique anti-gay[1]. Et ça change tout. Parce que si l’on se fout effectivement de savoir avec qui couche le maire quand il décide des dates du prochain Paris Plage, l’information prend une toute autre saveur quand le maire décide de refuser de célébrer des mariages homos dans sa commune.
Il est toujours très instructif, essentiel même, de savoir d’où les gens parlent. Une blague juive n’a pas la même signification dans la bouche d’un Juif et dans celle d’un antisémite. Une déclaration raciste n’a pas la même signification dans la bouche d’un Blanc et dans celle d’un Noir. Une déclaration machiste n’a pas la même signification dans la bouche d’un homme et dans celle d’une femme. Il en va de même pour les déclarations contre les droits des homosexuels : elles prennent une autre dimension lorsqu’elles sont prononcées par un homo, un certain Blondinet Pour Tous en sait quelque chose. On pourrait citer aussi les légions de pasteurs américains activistes anti-LGBT qu’on a fini par prendre la main dans le sac une bite dans la bouche. C’est que l’homosexualité présente deux particularités : elle ne se voit pas sur la figure (qui est l’idiote au fond qui a dit si ?), ce qui autorise cette duplicité entre le discours et les actes ; et elle est dans certains milieux tellement haïe que des gens réussissent à la nier au point de s’identifier comme hétéro alors même qu’ils n’aiment rien mieux que d’avoir une bite dans le cul. La puissance de ce déni me fait même penser que sûrement, certains ne se rendent même pas compte que leur discours va à l’encontre de leurs propres intérêts.
C’est la raison pour laquelle l’orientation sexuelle des maires FN (et des députés UMP qui ont voté contre le mariage l’année dernière, voire des journalistes qui écrivent sur ces questions) est une information non seulement publique, mais même, de toute première importance. On parle de gens qui au mieux mentent ouvertement, au pire, qui ne se comprennent même pas eux-mêmes. Est-ce que ce n’est pas essentiel à savoir au moment de les élire et de leur confier des pouvoirs politiques ?
En tout cas, la justice a tranché : le jeune auteur qui a outé Steeve Briois l'année dernière dans un bouquin a été acquitté.
Notes
[1] Bien sûr, le FN n’est pas officiellement anti-gay : il veut juste « suspendre les subventions de complaisance aux associations partiales et communautaristes » et c'est juste pour la défense des enfants qu'il a manifesté l’année dernière.
J’ai toujours pensé que Faites Entrer l’Accusé était une émission radiophonique qui avait par erreur échoué à la télévision. Il n’y a jamais rien à montrer, dans ce programme, puisque par définition, on ne possède pas d’images du crime en train d’être commis ou d’interview de la victime ; tout au plus possède-t-on quelques extraits du journal télévisé de l’époque, quelques photos de famille, voire dans le meilleur des cas, quelques vagues images floues surprises par une caméra de vidéo-surveillance.
L’essentiel de l’émission se passe donc à l’oral : interview des proches, des témoins ou des enquêteurs, narration de l’animateur ou de l’animatrice, discussion avec les experts… Tout le reste n’est qu’illustration laborieuse, le plus souvent au premier degré. L’assassin a utilisé un couteau ? Gros plan sur un couteau. La victime perd conscience ? Image qui vacille et caméra subjective qui tombe au ras du plancher. L’assassin s’est nuitamment enfui en voiture ? Route qui défile dans les faisceaux des phares. La susdite voiture a été aperçue dans une station service ? Travelling sur une pompe à essence. L’assassin habite à Jouy-lès-Sylvettes ? Plan fixe sur le panneau routier de Jouy-lès-Sylvettes.
Du coup j’ai tendance à regarder cette émission comme j’écoute une émission de radio, affalé sur le canapé sans regarder l’écran. Surtout que Christophe Hondelatte et Frédérique Lantieri ont une déclamation radiophonique fort agréable, bien éloignée de l'insupportable ton journalistique habituel. Mais évidemment, affalé sur le canapé à fixer le plafond… à rêvasser… un dimanche soir… dans la pénombre… bercé par une belle voix qui me raconte une belle histoire… je m’endors comme une masse au bout d’une demi-heure.
Vous n’imaginez pas le nombre d’affaires criminelles passionnantes dont je ne connais pas le dénouement. Vous n’imaginez pas à quel point l’apparition du replay de France 2 a changé ma vie.
Un meurtrier (pas de nom, je n’aime pas trop les recherches Google) vient d’être condamné à la peine la plus lourde prévue par le Code Pénal : la perpétuité assortie de trente ans incompressibles. Ça n’a aucun sens. La prison telle qu’elle existe actuellement n’a aucun sens. Il faut abolir notre système carcéral.
Trente ans de réclusion incompressible, ça veut dire trente ans à obéir à des ordres idiots, contradictoires, humiliants, absolument tous les jours. Trente ans à demander la permission pour tout, envoyer une lettre, recevoir un coup de fil, travailler, ne pas travailler, lire un bouquin, acheter des clopes, regarder la télé, aller pisser. Trente ans à subir une fouille anale aussi souvent qu’un gardien le jugera utile. Trente ans à prendre sa douche devant tout le monde. Trente ans à vivre dans une cellule de quelques mètres carrés sans la moindre intimité. Trente ans sans voir ses proches. Trente ans sans sexualité épanouie. Trente ans à survivre au milieu d’autres mecs désespérés, psychotiques, violents. Trente ans sans surprise, sans beauté, sans projet, sans espoir. L’espoir fait vivre, c’est justement pour ça que les détenus en sont privés.
À quoi ça sert ? Quel est le sens de tout cela ? N’importe quel ancien taulard raconte que personne ne survit psychologiquement à une peine de plus de cinq ans. Un quart des détenus actuellement en prison souffrent de troubles psychiatriques graves. Comment pourrait-il en être autrement ? La plupart d’entre nous ne supportent que difficilement quelques jours d’enfermement, par exemple à l’occasion d’une hospitalisation ; comment voulez-vous survivre à trois décennies de déshumanisation, d’humiliations quotidiennes, de désinsertion sociale complète ? Lisez les témoignages de ceux qui sont passés par la prison (en tant que détenu ou en tant que personnel pénitentiaire, peu importe, leur dires concordent). C’est édifiant. Certains détenus vont même jusqu’à réclamer la peine de mort, parce qu’ils l’estiment plus humaine.
Les sociologues, les matons, l’administration, le ministère de la Justice, tout le monde sait que le taux de récidive augmente avec la durée de la peine. C’est normal : les longues peines fabriquent des fous, des psychotiques, des paranoïaques, des gens qui une fois remis en liberté n’ont pas la moindre chance de réinsertion. La réalité, c’est que si on raccourcissait à l’instant les peines de l’ensemble des détenus de France, le taux de récidive criminelle (déjà extrêmement bas, environ 0,5 % pour les homicides par exemple) chuteraient encore dans les années à venir. La réalité, c’est que moins les détenus ont d’espoir, plus ils s’engagent dans des comportements violents à l’égard des autres et d’eux-mêmes : suicides, mutineries, prises d’otage du personnel pénitentiaire, etc. Pourtant, les peines sont de plus en plus longues, de plus en plus dures. En fait, les politiques font exactement le contraire ce qu’il faudrait pour diminuer la récidive ; tout en prétendant améliorer notre sécurité.
La prison poursuit trois objectifs : punir, surveiller, réinsérer. Punir, je crois que c’est parfaitement réussi, au-delà de tout ce qu’il est possible d’imaginer. Surveiller, ça marche plutôt bien, on s’évade très peu. D’ailleurs, Michel Foucault rappelle que la surveillance constante, omniprésente, jusque dans l’intimité, fait justement partie de la punition. Mais c’est au niveau de la réinsertion que cela ne fonctionne pas. L’ensemble des processus à l’œuvre en prison servent à détruire les individus, on ne voit pas bien comment ils pourraient en sortir réinsérés. Certes il est possible de faire des études derrière les barreaux, mais ça sert moins à se garantir un avenir à la sortie qu’à s’occuper l’esprit sur le moment : une licence de lettres, surtout passée en détention, n’a pas grande valeur sur le marché du travail…
Certains avancent que la prison doit également servir à protéger la société des criminels. Ils oublient d’une part que la majeure partie des criminels le sont par accident et n’ont pas l’intention de récidiver. Il n’y a donc aucune raison de vouloir en protéger la société. Mais ils oublient surtout que les peines ont une durée finie. Globalement, sur une période donnée, il y a autant de gens qui sortent de prison que de gens qui y entrent. C’est mathématique. Il n’y a donc aucune mise à l’écart des criminels : ceux qui sont enfermés aujourd’hui sont remplacés dans nos rues par ceux qui sortent et qu’on avaient enfermés dix ou quinze ans plus tôt – et qui sont donc entretemps devenus plus dangereux que si on ne les avait jamais enfermés.
La prison n’est pas une peine équitable. La loi établit parfaitement la gradation des peines et fixe un prix à payer pour chaque crime (il y aurait beaucoup à écrire sur cette économie des peines et la façon dont elle reflète les peurs de notre société). Mais lorsqu’un juge condamne à une peine de prison, cette même peine aura des effets très différents selon les individus. Certains s’en sortiront bien, d’autres moins bien. Certains seront enfermés dans des prisons modernes, d’autres se retrouveront aux Baumettes parmi les rats et les cafards. Certains seront soutenus, parce que le hasard de l’administration pénitentiaire les aura fait enfermer dans une ville où des proches viendront les visiter, tandis que d’autres se retrouveront à des centaines de kilomètres de leur famille et ne recevront aucune visite. Certains seront quittés par leur compagne ou leur compagnon, d’autres non. Certains conserveront leur emploi, d’autres le perdront. Certains purgeront une peine tranquille, d’autres seront tabassés ou violés par les autres détenus. Certains survivront, d’autres se suicideront, ou deviendront juste complètement fous. Où est la justice, lorsque deux condamnés n’endurent pas la même peine en punition d’un crime identique ? Et puis le détenu n’est pas le seul puni, ses parents, ses enfants, ses amis le sont également. Où est la justice lorsque la peine frappe également l’entourage du criminel qui a priori n’a rien fait de répréhensible ?
Et d’abord, pourquoi punir ? Historiquement, le pouvoir judiciaire a pour but de mettre fin aux vengeances privées, ce qui est une bonne chose. L’État garantit autant que faire se peut un traitement équitable à tous les justiciables, notamment le droit à un procès. Les peines sont fixées à l’avance, elles sont mesurées et proportionnées au crime commis. C’est un réel progrès sur les vengeances privées, souvent injustes, arbitraires, disproportionnées, qui dégénèrent facilement en guerres de clans. Punir possèderait également une vertu dissuasive, une valeur d’exemplarité. C’est sans doute vrai en matière de délit (la fameuse peur du gendarme sur la route par exemple), mais je n’y crois pas une seconde en matière criminelle. On n’a jamais vu un assassin se retenir de passer à l’acte par crainte de la peine de mort ou par crainte de la prison à perpétuité. Comme disait Badinter, parmi la foule qui acclamait la condamnation à mort de Buffet et Bontems devant le Tribunal de Troyes, se trouvait le jeune Patrick Henry.
Punir, c’est infliger du mal. Une personne a fait du mal, donc on va lui faire du mal en retour. Qu’en ressort-il ? Rien. Un sentiment d’apaisement pour les victimes ? Parfois oui, le plus souvent, non. On a juste ajouté du mal à du mal. La violence engendre la violence, comment s’étonner dès lors que les punitions les plus sévères engendrent les taux de récidive les plus élevés. On dit souvent que les États-Unis ont un système judiciaire très dur parce qu’ils doivent lutter contre une criminalité très élevée ; je me suis toujours demandé si dans ce raisonnement, on n’inversait pas (au moins en partie) la cause et la conséquence, si cette criminalité élevée n’était pas justement une réponse de la société à la violence et à l’intransigeance du pouvoir, si ce n’était pas le flicage excessif qui conduisait justement à plus de rébellion.
Le contrat social veut que les citoyens abandonnent à l’État certaines de leurs prérogatives, comme le droit de se faire justice et qu’en retour, l’État leur garantisse la sécurité. Si un individu commet une agression, c’est que l’État a failli à sa mission de sécurité. Et comment répare-t-il cette faillite ? En punissant le coupable, c’est-à-dire en commettant une seconde agression. Il y a sûrement des gens qui trouvent ça logique. Moi pas. Une personne a été retranchée à la vie, son entourage est traumatisé, c’est un drame ; et la réponse de la société consiste à retrancher une autre personne à la vie, à traumatiser encore plus de personnes, à créer un drame encore plus grand. Je ne vois pas très bien ce qu’il peut en sortir de bon ou en quoi cela va améliorer la société.
Il faut changer de paradigme. Le mal ne répare pas le mal, il l’aggrave. Le bien répare le mal – du moins en partie. On peut imaginer tout un tas de peines alternatives : des travaux d’intérêt général ou des travaux pédagogiques, par exemple. Faire travailler des auteurs de délits routiers dans un service hospitalier accueillant des grands blessés a donné de très bons résultats en terme de prévention de la récidive et d’amélioration des comportements au volant. Les travaux d’intérêt général ont été introduits en France dans les années 1980 parce qu’ils avaient donné d’excellents résultats au Québec. Le bracelet électronique permet de restreindre la liberté d’un condamné sans le désinsérer socialement. Il y aurait aussi beaucoup à réfléchir sur la psychiatrie en France, tant sur le plan préventif que pénal : pourquoi la maladie mentale est-elle autant sous-diagnostiquée, pourquoi des criminels manifestement fous sont-ils malgré tout déclarés responsables, pourquoi y a-t-il si peu de moyens pour suivre les malades une fois qu’ils sont condamnés ? Et bien sûr, il y aurait tellement à dire sur la prévention.
On pourra m’objecter que si j’étais moi-même victime d’un crime, je souhaiterais la punition la plus dure qui soit pour son auteur. Oui bien sûr, sans doute. Mais ce n’est pas parce que je souhaite me venger que la société est fondée à assouvir mon désir. Au contraire, même. L’État a tout intérêt à assurer la paix sociale, et c’est justement en garantissant des procès équitables et des peines bien codifiées qu’il y parvient. On pourra m’objecter que des peines d’apparence trop douces inciteront justement les victimes à se faire justice elles-mêmes. C’est possible, mais cela relève moins de l’institution judiciaire que des élus qui depuis des années surfent sur la vague sécuritaire, faisant croire à tort qu’une justice plus dure est la solution universelle à tous les problèmes. Là aussi, il faudrait changer de paradigme : avoir des politiciens éclairés qui expliquent leurs choix avec pédagogie, plutôt que des politiciens populistes, ignorants, voire les deux à la fois.
Bien sûr, on ne supprimera jamais complètement les peines d’enfermement. Elles sont nécessaires, par exemple lorsqu’il y a urgence à mettre fin à un trouble, pour éviter qu’un prévenu ne fuie et ne se soustraie à la justice, pour éviter qu’il communique avec ses complices afin de forger de faux alibis ou de trafiquer des preuves, etc. Mais l’enfermement doit rester l’exception, non la règle, et il doit être pratiqué dans le seul et unique but de restreindre la liberté, non dans le but d’humilier, de désocialiser, de détruire. C’est tout le sens de la réforme Taubira et si je suis certain que c’est une bonne réforme, au-delà de ce qui précède, c’est que c’est ainsi que fonctionne la justice dans les pays nordiques et il ne me semble pas que ces pays soient des zones de non-droit à la délinquance explosive.
Hélas, je suis pessimiste sur les chances qu’elle a de voir le jour à court terme. C’est qu’une telle réforme ne nécessite pas seulement de changer la loi ; elle nécessite aussi de changer les mentalités. Et ces dernières ont une inertie bien plus grande que les textes législatifs.
Grande nouveauté de ces Jeux Olympiques d’hiver, la torche est allée faire un petit tour en orbite terrestre. Une torche éteinte : impossible de la maintenir allumée à bord de la Station Spatiale Internationale ou à bord de la fusée qui lui a permis de faire le voyage. Mais pourquoi donc, impossible ?
L’absence d’oxygène. C’est la raison que j’ai le plus souvent entendue dans les reportages, et elle est fausse. Il y a évidemment de l’oxygène à bord de l’ISS, la preuve, des gens y respirent et y vivent. En revanche, il est clair qu’il s’agit d’une ressource précieuse et que les responsables de la station ne doivent pas trop avoir envie de la gaspiller pour une torche, aussi olympique soit-elle.
La sécurité. Les moyens de lutte contre le feu à bord de la station, comme à bord d’un avion, d’un sous-marin ou de tout autre lieu confiné et isolé, sont très limités. Il est donc hors de question d’embarquer une flamme ouverte à bord et de prendre le risque de déclencher un incendie. Surtout en apesanteur où les objets flottent comme bon leur semble dès qu’on les lâche.
L’apesanteur, justement. C’est la principale raison et je n’ai vu aucun reportage l’évoquer. Une bougie, tout comme une torche olympique, ne peuvent pas rester allumés longtemps en apesanteur. En l’absence de gravité, l’air n'a plus de poids. L’air chaud n’est pas plus léger que l’air froid, l’air froid n’est pas plus lourd que l’air chaud, les deux pèsent exactement la même chose : rien. Il n’y a donc aucun mouvement de convection autour de la flamme, aucune circulation d’air, ce qui empêche le renouvellement de l’oxygène. En apesanteur, quand on allume une bougie, elle brûle quelques secondes, le temps de consommer l’oxygène dans son voisinage immédiat, puis s’éteint.
Une autre conséquence de l’absence de pesanteur est que dans l’espace, les flammes, à l’instar du whisky du capitaine Haddock, se mettent en boule. Vous trouverez facilement quelques illustrations du phénomène en recherchant « candle microgravity » dans Google Images.
Épisode particulièrement flippant de Faites entrer l’accusé hier soir qui retraçait l’histoire d’un couple d’homos enterrés vivants à la Charité-sur-Loire. La circonstance aggravante d’homophobie n’a pas été retenue au procès et divers avocats, juges et enquêteurs ont martelé tout au long de l’émission qu’il n’y avait « pas le moindre mot, pas la moindre virgule d’homophobie dans tout le rapport d’instruction ». On aurait aimé entendre quelques arguments concrets à l’appui de cette affirmation surprenante ; mais hélas, on n’en apprendra pas plus.
Il parait effectivement établi que les victimes n’ont pas été tuées en raison de leur orientation sexuelle, que les assassins n’ont pas proféré à leur encontre d’injures à caractère homophobe, etc. Mais les choses ne sont pas si simples. Il existe des interactions complexes et réciproques entre les comportements des individus et les valeurs ayant cours dans la société où ils évoluent. En 1930 dans le sud des États-Unis, on lynchait infiniment plus de Noirs que de Blancs. Etait-ce raciste ? Oui. Est-ce qu’on trouvait ça raciste sur le moment ? Non. On affirmait le plus sérieusement du monde que tel individu avait été lynché parce qu’il était soupçonné de tel délit, et non parce qu’il était Noir. On se focalisait sur le caractère avéré de la cause (le délit) pour nier que la conséquence (la sanction) était différente selon la couleur de la peau. Il est fort possible que l’on se trouve ici dans une situation équivalente ; certes la motivation du crime n’est pas homophobe, mais le traitement exceptionnellement cruel réservé aux victimes frappe l’esprit et il est naturel de se demander s’il ne faut pas y voir une forme d’homophobie, pas forcément consciente et revendiquée, mais par exemple, culturelle.
Peut-être que les experts psychiatres ont exploré cette question. Peut-être qu’existent des éléments tangibles pour affirmer que l’homophobie est totalement absente de cette affaire. Mais le reportage n’en dit rien, du coup on s’interroge, d’autant plus que l’on ne sait pas d’où parlent les interviewés. C’est toujours important, de savoir d’où les gens parlent. Opprimer n’est pas qu'un mécanisme actif, c’est aussi véhiculer passivement des clichés, valider des normes sociales en ne s’y opposant pas, reproduire à l’identique des comportements sans se remettre en cause… Dans ces cas, l’oppresseur a rarement conscience d’en être un et son discours est donc éminemment critiquable lorsqu’il porte sur ceux qu’il oppresse, c’est à dire sur ceux qui se trouvent dans la tache aveugle de sa vision. C’est pour cette raison que l’existence des médias gays ou de l’Association des Journalistes LGBT n’est pas une lubie communautariste mais une nécessité politique. De la même manière qu’une femme aura du mal à accepter qu’un homme lui explique qu’une blague sexiste n’est pas sexiste, j’ai un peu de mal à accepter que des policiers hétéros, des avocats hétéros, des juges hétéros, des experts psychiatres hétéros, des journalistes hétéros, m’expliquent que ce crime n’est pas homophobe – même s’ils ont raison. Je les soupçonnerai toujours de ne pas avoir fait le tour de la question, de ne pas avoir exploré toutes les pistes, simplement parce que leur vécu et leur ressenti ne leur permettent pas cette exhaustivité dans l’analyse.
Revenons-en à notre double homicide. Je viens d’un milieu où l’échelle de valeur communément admise est en gros : hommes > femmes > animaux > putes > pédés. Mon cas est certes particulier (les cités du 93) mais je ne crois pas me tromper en disant que c’est une échelle de valeurs somme toute assez répandue. Par ailleurs, quiconque a lu un peu de psycho sait que l’un des moteurs des guerres, l’un des ressorts de la mentalité du combattant est de présenter l’ennemi comme n’étant pas un semblable mais comme étant un sous-humain ; ce qui lève toute barrière morale à son élimination. Enfin, les victimes dans ce crime ont été totalement déshumanisées, lentement enterrées vivantes (une heure et demi entre la première pelletée de sable et la dernière, ça laisse le temps à l’analyse et à l’introspection sur l’acte qu’on est en train de commettre…) sans que cela ne déclenche chez les assassins plus d’empathie et de considération que s’ils étaient en train de se débarrasser d’une vieille machine à laver. J’additionne tout ça et j’émets l’hypothèse que si les victimes n’avaient pas été homosexuelles, peut-être auraient-elles semblé plus humaines aux assassins, plus proches d’eux, plus digne d’empathie, et le traitement qui leur a été réservé aurait été différent. Je ne fais là que transposer un raisonnement que l’on retrouve typiquement dans les meurtres de prostituées, où l’assassin minore la gravité de son crime parce que la victime n’était qu’une simple pute et pas une vraie femme. Ce ne sont que des supputations de ma part ; je ne connais pas le dossier en détail. Je veux juste dire que balayer aussi péremptoirement la dimension homophobe de ce crime que l’a fait ce reportage, sans évoquer un minimum ce genre d’hypothèse, sans donner la parole à un spécialiste des minorités, je trouve ça un peu léger.
Au-delà de ça, je crois que cet épisode de Faites entrer l’accusé est traumatisant parce qu’il entre en résonance avec une peur viscérale de beaucoup de couples homos : se retrouver confronté à un déchainement de violence homophobe en provenance de son entourage. Il n’y a rien de plus out que de vivre en couple. Des dizaines de personnes constatent soudain que vous êtes pédés : les voisins qui vous voient habiter ensemble, le facteur qui connait les noms sur le courrier, le plombier ou le médecin qui passe à domicile, le gars à qui vous vendez des meubles sur eBay et qui vient les chercher chez vous, toutes les administrations publiques ou privées… Parmi tous ces gens, c’est mathématique, et c’est encore plus prégnant après les événements du printemps dernier, il s’en trouve cinq à dix pour cent qui vous considèrent comme pire que des chiens.
Alors on prie tous les jours pour que ça se passe bien quand même ; et on essaie de ne pas trop prêter attention à ce copain qui raconte qu’on a foutu le feu à sa porte en pleine nuit, à cet autre qui raconte qu’on a tagué « sale pédé » sur sa boite aux lettres, à ce couple de lesbiennes liégeoises persécutées autant par leurs voisins que par la police locale, ou aux couples de la Charité-sur-Loire qui finissent enterrés vivants.
La loi est la loi. Certes. Mais le zèle est le zèle et l’absence de zèle est l’absence de zèle, aussi. Or il semble avéré dans l’affaire Leonarda comme dans des milliers d’autres que l’administration française a tendance à être zélée surtout quand ça l’arrange, ce qui lui autorise une assez grande latitude dans l’application de cette fameuse loi qui est la loi. Qui du coup perd quelque peu de sa force et de son universalité. D’autant plus qu’en matière de droit d’asile, elle laisse déjà un large pouvoir discrétionnaire aux fonctionnaires. Les blogs d’avocats spécialisés dans le droit des étrangers, comme celui-ci ou bien sûr l’incontournable Maître Eolas, regorgent d’exemples de situations ubuesques auxquelles cela conduit. Par exemple, on pourrait s’étonner que l’administration refuse le droit d’asile à la famille de Leonarda parce qu’elle met en doute (avec raison) son origine kosovare, et décide donc de l’expulser vers… le Kosovo. Bref. La loi est la loi, mais la loi n’est pas toujours ni la logique ni la justice, loin s’en faut, et encore moins la morale. On pourrait dresser une liste longue comme le bras de chose illégales qui sont néanmoins morales et de choses immorales qui sont néanmoins légales.
Or, en matière de morale, nul doute que cette expulsion est choquante. C’est bien pour ça qu’elle a pris de l’importance médiatique, au point que le Ministère de l’Intérieur a réagit en allumant un contre-feu, publiant moult détails accablants sur cette andouille de père de famille. La manœuvre a parfaitement réussi. Alors qu’hier l’opinion publique désapprouvait l’expulsion d’une collégienne innocente, elle approuve aujourd’hui ce qui est implicitement présenté comme la reconduite à la frontière d’un délinquant. L’amalgame est pourtant grossier. La conduite délictueuse de ce monsieur n’a aucun rapport (juridique, logique ou autre) avec le refus de sa demande d’asile, et ne justifie pas non plus l’arrestation d’une collégienne mineure dans les conditions que l’on sait.
Oui, le père a menti aux autorités, bénéficié abusivement d’aides sociales, battu sa femme et ses enfants. Très bien ! Nous sommes sur le territoire français, qu’on lui applique les sanctions prévues pour ces délits dans le droit français : amende, prison, placement d’office de ses enfants, suspension des aides sociales, que sais-je encore, à un juge d’en décider. Penser que ces délits justifient une expulsion, c’est-à-dire une peine différente de la peine que subissent les Français coupables des mêmes infractions, je ne vois pas très bien sur la base de quelles valeurs humanistes et républicaines c’est défendable. De plus, et c’est là où je veux en venir, c’est l’exacte rhétorique du FN. L’amalgame utilisé par nos gouvernants de gauche pour retourner l’opinion en sa faveur a fonctionné grâce à un ressort idéologique d’extrême-droite. Je ne sais pas ce qui me désole le plus : qu’ils en aient eu l’idée ou que ça ait marché.
Je ne pense pas que Marine Le Pen arrive un jour au pouvoir. Par contre, cette affaire et plein d’autres montrent que les idées du FN sont banalisées, acceptées, intégrées par des gens venant de tout l’échiquier politique, de gauche comme de droite. L’immigration, par exemple, n’est plus matière à débat, l’affaire est déjà entendue : c’est devenu un problème à résoudre. On peut présenter tous les chiffres et toutes les études, prétendre le contraire est une opinion inaudible. Le FN n’a presque pas d’élu, mais il force les élus des autres partis à prendre position sur des questions clivantes, faussement présentées comme importantes. Le FN n’est pas au pouvoir, mais il impose ses sujets de débat, il produit du discours qui essaime. Insidieusement. On ne s’en rend pas compte, on se croit de gauche, on se croit progressiste et puis un jour, à l’occasion de l’expulsion d’une Leonarda ou du placement en foyer d’un gamin blond enlevé à ses parents bruns, on sort avec aplomb une bonne grosse connerie raciste.
Marine Le Pen : « La famille de Leonarda n’a pas vocation à rester en France. » François Hollande : « La famille de Leonarda n’a pas vocation à rester en France. » Voilà. Au plus haut de l’Etat, on est tombé dans le piège. À nous de ne pas y tomber aussi.
Les médias sont médiocres. Il faut plaire au plus grand nombre, faire la course aux parts de marché, l'œil rivé sur les revenus publicitaires, aucune fiction sur des sujets segmentants l'immigration les Roms les pédés la prostitution oh là là surtout pas, la segmentation c'est mal, il faut rassembler, rassembler dans le nœud-nœud, dans le consensuel mou, aucune idée qui dépasse, comédies familiales gentilles et défilé d'humoristes sans griffes.
Les journalistes sont médiocres. Le micro trottoir en guise d'analyse politique, l'envoyé spécial au péage de Saint-Arnoult-en-Yvelines les jours de départ en vacances comme apogée du journalisme de terrain, servir la soupe aux invités quel que soit le nombre de conneries qu'ils débitent à la minute, présenter Christine Boutin comme spécialiste du mariage gay et Eric Ciotti comme expert en sécurité, faire des concours de unes putassières avec les torchons concurrents, ne jamais rien vérifier, rien, jamais.
Les politiques sont médiocres. L'UMP est encore plus grotesque qu'à l'époque où elle était au pouvoir (Dieu sait que personne n'aurait cru ça possible) et la gauche ne branle rien comme d'habitude. On attend la PMA pour tous, le droit de vote des étrangers, la légalisation de l'euthanasie, la dépénalisation du cannabis et du LSD, l'interdiction du cumul des mandats, le tournant de l'économie verte, la promulgation de l'Aïd et de Kipour comme fêtes nationales, la liberté sexuelle totale inscrite dans le préambule de la Constitution de 1958, la reconduite à la frontière des ministres de l'Intérieur nés en Espagne, l'exécution sommaire des ennemis du prolétariat, mais à la place on a encore demandé à Jacques Attali de nommer une commission et d'écrire un rapport.
Tout est médiocre et moi-même je me sens un peu las.
De passage en Belgique, vous décidez de visiter le Museum voor Schone Kunsten de Gand. Ah, les maîtres flamands, les paysages du nord, les clairs obscurs, l'agneau mystique de Van Eyck ! Et vous voilà déambulant de salle en salle, vous extasiant devant un Brueghel par-ci ou un Van Dyck par-là… Quand soudain : le choc.
Une Judith inconnue. Par un certain Édouard Richter, lui aussi inconnu.
Vous avisez le sabre ensanglanté. Aucun doute, c'est bien de la Judith de la Bible dont il s'agit, celle qui afin de sauver la ville de Béthulie du pillage auquel le roi Nabuchodonosor la destinait, décapita le général Holopherne après l'avoir séduit et enivré. Mais cette Judith-là est spéciale. Elle ne ressemble pas à celle du Caravage, ni à celle de Rubens, ni à celle de Cranach, ni à aucune autre. À cause d'un détail inhabituel, qui vous trouble et sur lequel vous n'arrivez pas à mettre le doigt.
Vous finissez par voir ce qui cloche. Le temps. Cette Judith-là n'a pas peur d'être prise par les gardes, elle n'est pas en train de fuir, elle n'est pas dans la fébrilité qui saisit normalement tout criminel à l'œuvre. Non. Cette Judith-là prend tout son temps. Elle ne manifeste pas le moindre stress, pas la moindre inquiétude. Au point de s'arrêter face à la caméra pour faire sa pin-up, regard lascif, tenue transparente et tétons qui pointent.
Là où les autres peintres montrent une Judith meurtrière, Richter montre une Judith séductrice. La réalité du crime est escamotée derrière un coin de tenture à peine relevé ; ne reste que la tension sexuelle. Cette Judith-là n'est pas inquiétante parce qu'elle est en train de tuer mais parce que vous pourriez être sa prochaine victime. Si si. Vous. Cette façon de vous regarder, cette façon de marcher vers vous… En fait, c'est déjà trop tard : vous êtes foutus, ça fait au moins quinze minutes que vous êtes planté devant cette toile, le gardien de la salle commence même à vous regarder bizarrement.
Heureusement que ce n'est qu'une peinture. Heureusement que vous n'êtes ni hétéro, ni général babylonien.
J'ai besoin d'un passe Navigo. Naïvement, je me suis donc présenté muni de mon vieux passe à l'agence commerciale idoine, demandant qu'on me le réactive. Impossible, me répondit le guichetier : mon passe a été désactivé il y a plus d'un an, or voyez vous, on ne peut pas réactiver un passe désactivé depuis plus d'un an. Oui c'est n'importe quoi. Non, on ne peut rien faire.
De retour à la maison, je me connecte au site du STIF, cet organisme qui emmerde tout le monde depuis dix ans avec ses règlements débiles qui réalise tant de bonnes choses pour les usagers. J'apprends donc qu'il y a deux modèles de passe Navigo. Alors attention, hein. Techniquement, ce sont exactement les mêmes. Une carte en plastique avec votre photo et votre nom imprimés dessus et une puce RFID à l'intérieur. Mais commercialement, ça n'est pas du tout la même chose. Il y a le passe Navigo Intégrale (oui, il y a une faute d'accord, preuve irréfutable que le STIF est contaminé par la théorie du genre) qui sert uniquement pour les abonnements annuels, et le passe Navigo normal, qui sert uniquement pour les abonnements mensuels ou hebdomadaires. On ne peut pas mettre un abonnement annuel sur une carte destinée aux abonnement mensuels et inversement. Enfin techniquement, si, puisque ce sont les mêmes cartes. Mais en pratique, on ne peut pas. C'est interdit. Pourquoi ? Parce que.
Me voilà donc à devoir commander un nouveau passe Navigo sur internet – alors que j'en possède déjà un en parfait état. Il faut prouver que l'on habite en région parisienne – il ne faudrait pas que les bouseux de province bénéficient de la technologie de pointe qui se cache dans le Navigo, hein. Il faut fournir une photo d'identité aux normes (délirantes) qui vont bien, ses noms et prénoms, sa date de naissance… Les fiches anthropométriques de la Police Nationale sont probablement moins précises. C'est qu'autoriser n'importe qui à prendre le métro pourrait compromettre la sûreté nationale ! On ne rigole pas avec ces choses-là. Quoi qu'à bien y réfléchir, ça ne doit pas être une question de terrorisme, puisque ce problème-là est déjà résolu par les adolescents pré-pubères qui patrouillent en treillis dans toutes les gares avec un FAMAS non chargé au poing. Bref. Une fois sa fiche de renseignement remplie, il faut encore patienter plusieurs semaines avant de recevoir le passe convoité dans sa boite aux lettres. Le temps que la DCRI vérifie tout, je suppose.
Pendant ce temps à Londres, acheter une Oyster Card prend environ quarante-cinq secondes, puisqu'il suffit d'introduire sa carte bleue dans les distributeurs automatiques qui se trouvent en station. N'importe qui peut en avoir une (la preuve : j'en ai une), il n'y a ni photo ni nom ni prénom dessus, ça fait exactement ce qu'on lui demande sans prendre la tête de l'usager avec des procédures administratives dignes de l'ex-bloc soviétique : ça permet de prendre le métro. Point.
Mais j'imagine que les Français ne sont pas prêts à accepter un système aussi simple et aussi efficace.
Après un mois et demi de vacances à durée indéterminée, j'ai enfin retrouvé du boulot. Ce fut plus difficile que la dernière fois. Il faut croire que le marché du travail s'est tassé et que mes compétences professionnelles ne coïncident plus exactement avec les compétences à la mode. Bref, c'est l'occasion de mettre à jour et de republier un vieux billet, le CV En Images ! (Toutes les photos ci-dessous proviennent de Google Street View.)
J'étais tout jeune, premier boulot, dans le milieu associatif. Si j'en crois la capture d'écran ci-dessus, des pavillons moches ont poussé à la place des locaux aujourd'hui détruits. L'expérience aurait été sympathique si mon chef n’avait pas été un psychopathe qui répondait systématiquement « débrouille-toi, il faut que tu te formes ! » à toutes mes questions. Il avait dû lire un truc sur l’auto-construction des savoirs dans La Pédagogie pour les Nuls. Ensuite, il m’engueulait parce que le boulot qu’il avait refusé de m’expliquer comment faire n’était pas fait comme il le voulait. J’ai rapidement pris le parti de ne plus rien foutre ; c’était moins humiliant de me faire pourrir la gueule parce que je n’avais rien fait que parce que j’avais fait quelque chose. Pas mal de nuits d’insomnies sur le thème « je ne veux pas aller bosser demain ». Mon pire cauchemar ? Quand je m’aperçois qu’aujourd’hui, étant cadre à mon tour, il m’arrive parfois de reproduire involontairement ces schémas pervers avec mon équipe.
Un poste peinard dans l’informatique industrielle, à dix minutes de chez moi. Peu de temps après mon arrivée, un italien fut embauché ; quand il découvrit la disposition des lieux, il me regarda d’un air désespéré et me dit avec un accent de mafioso sicilien : « M’enfin petit, tu es fou, le bureau, jamais dos à la fenêtre voyons, c’est trop dangereux ! » Et il retourna son bureau de façon à être assis face à la rue. Si j’en crois LinkedIn, ce gars est aujourd’hui directeur régional d’une des plus grosses SSII de France. On travaillait en collaboration avec une société canadienne. L’internet public n’existait pas. Pour échanger nos fichiers, on s’envoyait des disquettes par FedEx. Vingt-quatre heures pour expédier 1,44 méga-octets, ce n’était de toute façon pas beaucoup plus lent qu'un modem. Ironiquement, un des plus gros nœuds du réseau internet français de l'époque passait de l'autre côté de la rue, au défunt Centre Inter Régional de Calcul Électronique, et nous n'avions aucun moyen de nous brancher dessus…
Quelques mois passés dans un Grand Organisme De Recherche Français. La meilleure cantine qu’il m’ait été donné l’occasion de fréquenter. La Nation soigne ses chercheurs, ou du moins leur estomac. Je passais mon temps dans une grande salle climatisée avec des super-calculateurs, des dérouleurs de bande magnétique et des terminaux X11 partout. Un film de science-fiction des années 1970 fait réalité. Mon contrat n’a pas été renouvelé parce que personne n’était sûr de la pérennité de mon poste et qu’il valait mieux se débarrasser de moi avant la limite fatidique des six mois au-delà desquels licencier quelqu’un coûte beaucoup plus cher. De toute façon, vu le salaire, je ne serais pas resté. La Nation soigne ses chercheurs, mais elle n’a pas encore compris que ses chercheurs avaient un loyer à payer.
Trois ans dans des bâtiments classés monuments historiques au milieu du Parc Montsouris. Enfin en théorie. En pratique, les locaux étaient trop exigus et je travaillais le plus souvent depuis chez moi, ne passant au siège que pour les réunions, ce qui m'arrangeait puisque j'habitais principalement à Rennes à cette époque. On avait un double des clefs afin de pouvoir accéder aux locaux en dehors des horaires d’ouverture du parc. J’étais sexuellement très calme à l’époque et je n’en ai jamais profité. Quelques années plus tard, je ne vous raconte pas le nombre de plans cul que j'aurais fait en pleine nuit au bord des étangs !
Derrière la gare de Saint-Denis. Vous voyez, le quartier au bord du canal qu’on montre toujours dans les reportages sur le trafic de drogue dans le 93 ? Eh bien c’était pile-poil à cet endroit. Tous les salariés, y compris le patron, s'étaient fait agressés au moins une fois sur le trajet entre la gare et les bureaux. La direction avait fini par mettre en place une navette privée pour limiter les risques, perdant ainsi en frais de taxis quotidiens ce qu'elle avait cru économiser sur le loyer des locaux… En contrepartie, les soirs d’été, toute cette agitation, et puis entendre parler les langues de la Méditerranée au milieu des effluves de kebab, j’adorais ça. Ce fut aussi le premier boulot où je me suis présenté comme ouvertement homosexuel. Étrange mélange d'acceptation, d'indifférence et de remarques aussi naïves qu'homophobes, du genre : « Ah mais toi c'est pas pareil, tu n'es pas du genre à aller à la Gay Pride ! » ou encore : « Je ne pensais pas qu'un homo était capable d'occuper un poste aussi pointu que le tien. »
Un passage éclair en bord de Seine, dans des locaux climatisés aseptisés automatisés, il fallait même badger pour aller aux chiottes. La SSII la plus merdique pour laquelle j’ai travaillé. Les projets ne présentaient pas le moindre intérêt, les délais étaient délirants (parfois moins de 24h pour livrer), prononcer le mot « qualité » était quasiment considéré comme une insulte. Je n’ai pas tenu trois mois, j’ai démissionné sur un coup de tête un lundi soir à 17h50. Par contre, le revêtement de sol violet était assorti à mes Converses, ce qui était quand même d’une classe folle.
Toujours en bord de Seine, dans une grosse boite très sérieuse qui fabriquait très sérieusement du matériel médical très sérieux. Le maître mot ? La procédure. Des procédures pour tout. Pour écrire du code, pour tester du code, pour corriger du code. Pour écrire des documents, pour classer des documents, pour vérifier des documents, pour vérifier la vérification des documents. Pour configurer l'économiseur d'écran de son poste de travail, pour rédiger sa signature automatique de mail, pour organiser une réunion, pour transférer une compétence à un collègue. Il y avait même une procédure pour écrire des procédures et une autre pour s'assurer que les salariés prenaient bien connaissance des procédures. Alors que je faisais remarquer qu'il y avait peut-être trop de procédures et pas assez de bon sens, on m'a répondu le plus sérieusement du monde qu'on allait mettre en place une procédure pour s'assurer qu'il n'y avait pas trop de procédures. J'ai alors décrété qu'il était temps pour moi d'entamer la procédure de démission. (D'autant plus que que plusieurs de mes collègues s'étaient révélés être des militants de la manif pour tous, ce qui curieusement, avait quelque peu altéré ma capacité à travailler avec eux.) C'est dommage, parce que je trouvais plutôt intéressants les projets sur lesquels je travaillais.
Et bien sûr, par souci de discrétion, ni photo ni information à propos de mon nouveau boulot. Vous en saurez plus la prochaine fois que je changerai de poste et que j'actualiserai ce billet !
Je découvre l'existence du Great Ape Project, une organisation qui milite pour la reconnaissance de droits juridiques aux grands singes. Passée la surprise première, je me dis que c'est finalement peu surprenant : c'est le prolongement logique de l'évolution de nos représentations sur nous-même, sur ce qui fait notre humanité.
Il y a un siècle, personne n'aurait prêté intelligence, conscience de soi ou émotions à des chimpanzés. Aujourd'hui, on sait que les grands singes possèdent toutes ces caractéristiques et bien d'autres encore que l'on croyait l'apanage exclusif de notre espèce. Ils peuvent même communiquer, pour peu qu'on leur apprenne la langue des signes : s'ils ne parlent pas naturellement, c'est surtout par défaut d'organes phonateurs, et non par manque de capacité cérébrale. Enfin, on sait que leur patrimoine génétique ne diffère du nôtre que d'un seul petit pour cent. Les primatologues estiment que les chimpanzés ont les capacités intellectuelles d'un jeune enfant. Si les jeunes enfants sont des personnes reconnues juridiquement, dont les droits sont protégés par bon nombre d'organisations internationales, alors pourquoi pas les grands singes ?
La culture occidentale, depuis plusieurs siècles, tend à être toujours plus inclusive et plus égalitariste. Petit à petit, on a reconnu que les native americans étaient dignes d'appartenir à l'espèce humaine, puis les Noirs avec l'abolition de l'esclavage, puis les peuplades primitives avec les progrès et la vulgarisation de l'anthropologie moderne. (On remet même en cause cette qualification de « primitive » pour lui préférer le terme « premier », jugé moins péjoratif.) À l'autre bout de l'échelle des temps, il en va de même avec les hommes préhistoriques : les Néandertaliens et les Cro-Magnons, que l'archéologie classait autrefois parmi les simiesques ou au moins les sous-hommes, sont aujourd'hui reconnus comme membres à part entière de la grande famille humaine.
Le sentiment écologique progresse et il apparait de plus en plus normal que la loi protège autre chose que les intérêts humains : la nature, notre planète, notre environnement, etc. Or, les grands singes font partie de la nature.
Je ne sais pas si reconnaître des droits juridiques à des animaux est une bonne chose. Je n'ai pas d'avis tranché sur la question. D'un côté ça semble tout naturel ; d'un autre côté, sans vouloir tomber dans le sophisme de la pente glissante, il me semble que ça ouvrirait la porte à des considérations et des revendications, euh, disons, un peu radicales. Par exemple, si les primates sont reconnus comme des personnes juridiques, il se présentera tôt ou tard le cas d'une personne qui par testament lèguera sa fortune à un singe, posant alors la question du droit d'un animal à la propriété privée. Allons plus loin. Qui dit nouvelle législation dit nouveaux crimes et délits, qui dit droit à la propriété privée dit mobile de crime ; y aura-t-il des meurtres de chimpanzés, ainsi que des tribunaux et des prisons pour singes ?
Bon, ne nous emballons pas. Dans certaines régions du monde, on en est encore à faire en sorte que des humains ne soient pas traités comme des animaux, on est donc encore loin d'arriver à ce que des animaux soient traités comme des humains.
Lors des débats à l'Assemblée Nationale sur la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, le député Mariton s'est particulièrement illustré par son obstruction parlementaire : dépôt de nombreux amendements, prises de parole interminables pour ne rien dire, rappels au règlement qui n'en étaient pas dans le seul but de perdre du temps…
À la limite, s'il s'était opposé avec de vrais arguments et en toute bonne foi, pourquoi pas. Mais son opposition n'était ni argumentée ni sincère. Il fallait quelqu'un à l'UMP pour faire le boulot d'obstruction, c'est tombé sur lui, il a fait le job demandé. Point. Ça aurait pu être sur n'importe quel autre sujet, il l'aurait fait de la même manière. C'est sans doute le plus vexant dans cette affaire : que les couples homos n'aient été qu'un jouet pour Mariton, le simple objet d'une stratégie. Ce type a joué avec nos vies, avec nos histoires, parce que ça avait un intérêt politique pour son groupe. Rien d'autre.
Pour le remercier, quelques associations LGBT ont donc décidé de lui offrir une gay pride, rien que pour lui, dans sa propre ville de Crest, devant sa mairie et devant sa permanence électorale. Nous y étions !
Deux milles personnes environ, quelques célébrités comme Jean Luc Romero, des porte-parole d'associations qui ont fait de beaux discours au micro, beaucoup de couples de lesbiennes, pas mal de couples de gays, des bears, des fashionistas, des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, et plein de punks probablement hétéros mais qui ne se font jamais prier dès lors qu'il s'agit de participer à un truc un peu subversif.
Pas de chars avec de la musique techno (enfin si, un, vers la fin) mais une vraie fanfare avec deux gros pavillons de sousaphone qui dépassaient de la foule, et qui enchainait les tubes des années 80. J'adorerais qu'on reprenne le concept à la gay pride parisienne.
Après le passage du défilé, restent quelques tags sur les murs. Nul doute que le maire les aura rapidement fait nettoyer ; mais contrairement à l'adage, si ces écrits se seront vite envolés, les paroles de Mariton, elles, resteront longtemps dans nos mémoires.